• La Rose

     

     

    LA ROSE

     

    Constant s’éveilla tout en douceur, le visage enfoui dans le moelleux de son oreiller. La tête encore emplie des souvenirs de la nuit d’amour qu’il venait de vivre. Le corps comme endolori de tendresse, il se sentait si bien à l’idée que tout cela n’était pas qu’un rêve. N’ayant aucune idée de l’heure, il jeta un œil au réveil qui affichait déjà dix heures puis se retourna dans le lit, cherchant du bout des doigts la peau satinée du corps qui s’était collé à lui la veille au soir dans une étreinte douce et sauvage qu’il n’aurait jamais espéré connaître.

    Il était sorti sans envie, sans conviction. Un peu casanier de nature, il avait accepté de suivre un groupe d’amis qui avaient réussi à le traîner dans un petit bar à la mode. Les tables et les chaises s’étaient étalées sur le trottoir pour laisser la place à un couple de guitaristes qui avaient apporté à cette soirée imprévue une ambiance plutôt festive. Par ce soir d’été, qu’une brise bienfaitrice balayait à travers les rues parisiennes, c’est dans cette atmosphère joyeuse et légère que Constant s’était accoudé au bar devant une bière.

    C’est là qu’il l’avait vue. Juste croisé son regard, puis revenu sur elle car elle le regardait aussi. Constant avait eu du mal à se détacher de ses yeux si attirants, si pénétrants, et il avait passé une partie de la soirée à renouer ce lien visuel à travers le brouhaha et les allées et venues perpétuelles des clients du bar. Chaque fois que quelqu’un rompait ce petit couloir de reconnaissance qui s’était déroulé entre elle et lui, Constant avait si peur de la perdre qu’il se balançait presque comme un pantin pour pouvoir de nouveau détaillé ce visage qui s’offrait à lui avec le plus beau des sourires. Apparemment, il lui plaisait aussi.

    C’est elle qui s’était levée finalement. C’est elle qui était venue s’asseoir au bar, près de lui sans le quitter des yeux. Toujours souriante, elle s’était présentée tout naturellement et avait engagé la conversation, brisant la barrière de timidité dont Constant faisait preuve. Il n’aurait su expliquer comment cela s’était déroulé, mais il ne pouvait plus se détacher d’elle. Ils en étaient venus à se parler sans gêne comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Constant s’était laissé guider par cette présence brillante, par cette fraîcheur pétillante. Elle ne cessait jamais de sourire. Elle le séduisait sans l’aguicher, elle l’attirait sans le provoquer. Bref, elle lui donnait envie d’elle en toute simplicité sans être agressive ou même vulgaire. Elle n’avait même pas eu besoin de lui dire quoique ce soit ou de faire une quelconque allusion. Ils avaient quitté le bar ensemble, s’étaient pris à des jeux d’enfants dans les rues de la capitale au beau milieu de la nuit et étaient rentrés chez Constant ensemble, comme s’ils avaient toujours vécu là tous les deux. Le plus naturellement du monde, elle s’était donnée à lui sans tabou et le jeune homme s’était retrouvé à admirer ce corps si beau, si doux et si souple qui ondulait au-dessus du sien. Elle s’était laissé aimer avec générosité et patience si bien que dans la moiteur de sa chambre, Constant se serait cru volontiers sur une de ces îles du bout du monde, déserte et sauvage, en compagnie d’une créature qui n’avait en commun avec lui que le langage du corps. Ils n’avaient pas parlé. Il aurait bien voulu en savoir plus sur cette inconnue qui bouleversait déjà sa vie, mais elle s’était lovée contre lui pour s’endormir. Il avait fait de même, mettant sa curiosité de côté, un sourire béat sur les lèvres.

    Sa main fouillant les draps et remontant vers l’oreiller ne trouva personne. Constant se retourna, les paupières encore lourdes et, les cheveux en bataille, il se redressa surpris. La seule chose que sa main avait rencontré c’était une rose. Une rose aux pétales et aux feuilles encore fraîches, posée sur l’oreiller. Au même instant, il entendit un bruit venant de la cuisine. Devinant qu’elle avait dû se lever avant lui pour préparer de quoi déjeuner, il se leva d’un bon, le cœur léger et enfila son jean. Tentant de discipliner un peu ses cheveux d’une main, gardant la rose dans l’autre. Décidément cette fille était une perle rare. L’idée qu’il était tout de même un gars chanceux traversait son esprit quand il entra dans la petite cuisine qui jouxtait le salon. Son sourire et ses réflexions sur la chance s’évanouirent de concert. Au bord de l’évier, Filou, son chat noir, tentait désespérément d’attraper sa gamelle coincée entre les assiettes de la veille. À la vue de Constant, le félin lui jeta un regard suppliant agrémenté d’un miaulement tout aussi déchirant. Mais Constant hébété cherchait déjà dans le salon toute trace qu’aurait pu laisser sa conquête envolée. Il retourna vers la chambre, revint à la cuisine, ouvrit la fenêtre pour jeter un œil dans la rue, sortit sur le palier et refit le tour de son appartement plusieurs fois sans savoir ce qu’il cherchait au juste, comme pour nier une évidence qui devenait de plus en plus claire dans son esprit. Elle était vraiment partie. Et tandis qu’il cherchait encore la moindre trace d’elle jusqu’à son odeur dans son lit et quelques cheveux bruns sur les draps, Constant sentait monter en lui un sentiment de malaise où se mêlaient peine et colère. Il se sentait si idiot tout à coup. Mais il n’arrivait pas à croire que la jeune fille avec qui il avait passé la nuit puisse être une simple coucheuse. La façon dont elle l’avait aimé, et toute cette tendresse dont elle avait fait preuve étaient bien réelles pourtant. Se pouvait-il qu’il se trompe à ce point, aveuglé par un excès de naïveté ? Même si il est vrai que c’est elle qui l’avait abordée, elle l’avait fait avec tact, sans fausseté et elle n’avait pas forcé les choses. Elle n’avait rien d’une allumeuse. Et puis c’est lui qui l’avait invitée… Cela dit, elle devait bien s’y attendre. Et peut-être même n’attendait-elle que ça ! Ses suppositions galopant à toute vitesse, Constant fut soudain pris d’un autre doute plus effrayant et il s’empressa de vérifier ses affaires, son portefeuille, ses quelques papiers importants, mais rien n’avait bougé. Pas une voleuse donc ! Pas une fille malhonnête, juste une fille d’un soir. Il eut honte un instant d’avoir douté d’elle sur ce point. Torse et pieds nus au milieu de son salon avec sa rose à la main, Constant avait la désagréable impression de s’être fait roulé même si rien ne le justifiait. Peut-être allait elle revenir. Mais plus les minutes s’écoulaient, moins il croyait à cette éventualité. Ils n’avaient même pas échangé leurs numéros. Il ne savait quasiment rien d’elle, encore moins où elle habitait. Il se rendait compte à présent qu’elle avait soigneusement évité ce sujet. Mais si ce matin, elle était partie pour ne pas revenir, pourquoi avoir laissé cette rose ? Pourquoi se donner le mal de cette petite attention ? Tandis que Filou réclamait toujours sa pitance en se frottant langoureusement contre les jambes de son maître, Constant s’accouda à la fenêtre, le regard perdu sur les toits de Paris. Ainsi c’est elle qui avait décidé, elle ne lui avait pas laissé le choix. Celui de la revoir ou non. Celui d’entendre une raison à ce départ furtif. Elle lui avait laissé l’illusion de mener la barque au début, mais c’est elle qui tenait la gouverne et maintenant qu’elle était partie avec, elle le laissait dériver, seul. C’est elle qui choisissait la fin. Le dénouement se faisait sans son consentement à lui. Elle lui avait donné beaucoup de plaisir, mais ce n’était pas seulement ça. Il aurait vraiment aimé la revoir et partager plus qu’une seule nuit avec elle. Le chat grimpa sur le rebord de la fenêtre repoussant le bras du jeune homme de sa tête en ronronnant. Constant le regarda :

    « Tu sais où elle est partie toi ? Tu l’as vue ? »

    Filou, ronronnant, porta sur le jeune homme ses yeux jaunes fendus de noir. S’il avait pu parler, il lui aurait sûrement répondu « oui » et même qu’il avait eu droit à une caresse avant que la belle mystérieuse ne s’éclipse. Constant s’enivra quelques instants du parfum de la rose qu’il tenait et dit pensif, en regardant le cœur des pétales :

    « Léna… C’est tout ce que je sais. Elle s’appelle Léna. »

      

    (Tout ça, ça donne pas à bouffer au chat !)

     

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    « Léna ! Léna ?… Tu viens avec nous ? On va se faire un pique-nique à Vincennes, ça te dit?»

    « Non… je reste ici aujourd’hui… J’ai du boulot. »

    « C’est ça du boulot. A d’autres. Tu es crevée oui ! Admettons… mais ça t’aurait fait du bien.»

    « Mmmmm… »

    La jeune fille s’était enfoncé la tête sous son oreiller.

    « D’accord je te laisse tranquille. »

    Alice, la colocataire de Léna s’approcha du lit et secoua énergiquement la masse difforme qui se recroquevillait sous la couette.

    « Mais tu as intérêt à me donner des détails. Je t’ai vu partir hier soir et j’ai vu avec qui tu as quitté le bar. Hein ? Dis ! » dit-elle en la chatouillant.

    « Il était pas mal du tout, hein ! Rudement mignon même et t’es pas rentrée tôt ma coquine ! »

    « Oh ! ça va fiches moi la paix. » Dit Léna en riant et repoussant la couette. Alice la regarda. Elle était si jolie. Même là dans son lit, le visage plissé du réveil et sa longue chevelure brune emmêlée, elle trouvait encore le moyen d’être belle. Alice sourit.

    « Tout de même… J’ai raison. »

    Léna se frotta les yeux en baillant.

    « Oui, oui. Pas pire qu’un autre. »

    Alice tiqua.

    « Ohf ! je suis sûr que tu exagères. C’était bien, avoue ! »

    Léna répondit par un haussement d’épaules avant de se laisser retomber sur son lit. Alice s’asseya au pied de celui-ci et l’observa un instant.

    « Si tu cherches un super amant, laisses tomber ça n’existe pas ! »

    Pensive, les yeux rivés au plafond, Léna répondit :

    « Je ne cherche rien. »

    Alice, comme résignée, rétorqua :

    « Oui je sais, tu t’amuses. »

    Léna la regarda avec un sourire faussement désolé.

    « J’essaie. Mais c’est pas c’que tu penses. »

    Alice se leva et se retourna sur le seuil de la chambre.

    « Alors pas de pique-nique, sûre ? »

    Léna secoua la tête avec nonchalance pour signifier à son amie qu’elle n’avait pas changé d’avis. Alice baissa les yeux et sorti. Léna eut un petit pincement au cœur lorsqu’elle referma la porte. Elle aurait aimé accompagner ses amies. Elle savait que cela lui aurait fait du bien et changé les idées. Elle en avait besoin. Mais elle préférait rester seule, ce dimanche, à ruminer ses pensées pour tenter de comprendre l’état dans lequel elle se trouvait ou pour s’y complaire encore plus. Elle l’ignorait. Elle se retourna dans le moelleux de sa couette et se recroquevilla en chien de fusil comme s’il n’y avait que là qu’elle était en sécurité. Mais à l’abri de quoi au juste ? Sûrement pas à l’abri de ce qui se passait en elle. Pas à l’abri de ses sensations, de son ressenti, de ses sentiments. Cela lui arrivait parfois, pas toujours, de se sentir mal à l’aise, cotonneuse, le vague à l’âme après certaines nuits passées avec un homme. Elle détestait cet état et elle savait pertinemment que rester couchée n’arrangerait rien mais elle n’arrivait pas à envisager autre chose que la léthargie forcée. C’était comme après avoir trop bu ou trop fumé. C’était comme essayé de sortir d’un état que le corps refuse de quitter. Comme tenter de faire sortir de soi une chose que l’on a désirée très fort et dont on ne veut déjà plus sans en avoir abusé… Sans même avoir pris le temps d’y goûter. Les pensées de Léna étaient focalisées sur la nuit qu’elle venait de vivre. Elle savait que cela passerait. Cela passait toujours avec le temps et avec d’autres expériences. De nouvelles nuits venant évincer les précédentes. Comme on recouvrirait une touche de peinture avec une autre pour la cacher et l’oublier. Cependant, face au tableau de ses aventures, Léna pouvait ne plus y penser, mais elle ne pouvait pas nier les avoir vécues. L’ancienne couche étant encore sur la toile, même invisible, elle existait toujours. La nuit précédente faisait partie de celles qu’elle avait du mal à se sortir de la tête. Léna n’aimait pas cette dépendance de son esprit à son corps. Détacher les émotions du physique lui aurait semblé si pratique. Elle n’arrivait pas à oublier son visage. Alice avait raison, il était plus que mignon. Pour elle qui avait vu plus que son visage et qui avait fait plus que le regarder, elle en était convaincue. Mais il fallait s’en défaire comme toujours et, après tout, cela ne devait pas être si dur. Léna décida subitement qu’il était temps de se lever. Il était temps d’oublier cette nuit, de l’effacer. Elle avait profité de la vie, de sa jeunesse une fois de plus, c’était bien et ça n’allait pas s’arrêter là. Elle repoussa sa couette et se leva. Elle entra dans sa salle de bain et observa son reflet dans le miroir avant de pénétrer dans la douche. Elle était jolie, très jolie et elle le savait. La façon dont les hommes - mais aussi les femmes - la regardaient aurait suffi à la convaincre, si le miroir ne l’avait pu. Ses cheveux auburn retombaient en cascade de boucles autour de son visage à l’ovale parfait. Ses yeux verts en amande avaient un reflet métallique contrastant avec sa peau légèrement hâlée. Ses lèvres joliment arrondies lui dessinaient une petite bouche de poupée. Sans être une beauté fatale elle avait un charme indéniable. Elle sourit à elle-même, satisfaite d’être sortie de sa torpeur. Elle ne devait pas se laisser envahir par cette mélancolie du lendemain. Elle savait qu’elle devait renverser la vapeur le plus vite possible et ne plus se laisser submerger que par un seul sentiment si enivrant celui-là. Celui de se sentir libre. Libre de ne rendre aucun compte à personne. Libre de s’échapper de la vie d’un être aussi vite qu’on y est entré tandis que celui-ci vous cherche peut-être sans comprendre, ou se retrouve satisfait de ne pas avoir à vous chasser. Libre enfin de décider de sa vie. Sur cette pensée, la jeune fille prit une douche rapide comme pour se débarrasser des dernières traces de sa nuit, se surprenant à sentir sur sa peau, l’odeur de ce garçon, si sensuelle. Elle s’habilla rapidement et couru rejoindre ses amies.

     

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    Constant avait pris une décision. Aussi idiote, folle ou déraisonnable soit elle, il l’avait prise et s’y tiendrait. Ruminant d’abord sa déception, il était passé par tous les états, imaginant bêtement les raisons les plus saugrenues pour lesquelles Léna aurait pu partir. Il avait essayé de se rassurer en se disant qu’elle avait peut-être eu un problème, et qu’elle avait dû s’en aller précipitamment. Oui… Mais dans ce cas pourquoi ne l’avait elle pas réveillé pour le prévenir. Avait-elle préféré se sauver au petit jour, déçue par cette nuit avec lui ? Ce n’est pas l’impression qu’elle lui avait donnée. C’était incompréhensible ! Et cette rose sur l’oreiller. Ne traduisait-elle pas à elle seule un au revoir flagrant. Quelque chose du genre : « C’était bien, mais adieu quand même ! » Comme il voulait en avoir le cœur net - au sens propre comme au sens figuré – Constant décida de se rendre au bar de la veille le soir même, espérant la croiser de nouveau, qui sait ? Mais elle ne vint pas. Il entreprit de poser quelques questions au patron de l’établissement, mais le vieux bourru lui répondit qu’on n’était pas dans un film de détectives. Le jeune barman fut plus éloquent. Très physionomiste, il se souvenait du couple. Ils avaient longuement bavardé au comptoir et c’est lui qui les avait servis. Constant, par contre ne se souvenait pas du tout du garçon, preuve que toute son attention était portée sur Léna. Le barman lui dit que cela ne lui avait pas échappé car elle était en effet très jolie mais qu’il l’avait vue pour la première fois. Ce n’était pas une habituée. Il n’était donc pas certain qu’elle soit du quartier. Mais cela ne prouvait rien. Gardant espoir, Constant lui laissa son numéro sans hésiter, lui demandant d’avoir la gentillesse de le prévenir si elle revenait un soir.

    « Je suis pas là tous les soirs mais si ça arrive, je vous appellerai… À moins que je la garde pour moi cette fois ! »

    Constant ri jaune à cette boutade et s’en alla abattu. Il avait beau chercher d’autres moyens de la retrouver, aucune idée lumineuse ne lui venait en tête. Il rentra chez lui, découragé et se coucha transi d’émotions, frustré et le corps tendu du désir de retrouver le plaisir qu’il avait connu la veille et qui lui manquait déjà. S’enivrant du parfum de la jeune fille qui flottait encore dans son lit, Constant, les sens en éveil ne pouvait plus qu’imaginer cet amour éphémère qui avait marqué sa chaire d’un invisible tatouage.

     

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    Léna avait passé une bonne journée. Le travail n’avait pourtant pas manqué à la boutique. Elle avait fait plusieurs compositions florales. Certaines pour des anniversaires, des fêtes, et toute une série pour un mariage qui avait lieu le lendemain. C’était vendredi. Une petite semaine tranquille se terminait pour elle  et Léna goûtait déjà la saveur d’un début de week-end tout aussi calme. Elle partait à la campagne chez sa tante, se reposer, se ressourcer et surtout pour ne voir personne et rester seule. Malgré ses efforts, elle n’avait pas tout à fait réussi à s’extraire ce garçon de l’esprit. Il faut dire que d’autres occasions de passer une nuit avec un nouvel inconnu ne s’était pas présenté depuis. Mais elle n’avait rien fait pour. Elle n’était pas sortie de la semaine, et n’avait donc rencontré personne. Elle se sentait fatiguée même si ses journées n’étaient pas harassantes. Durant ces quelques soirées en solitaire, elle avait regretté de ne pas voir de nouveaux visages, mais elle gardait en mémoire le dernier. Celui de Constant… Il s’appelait Constant. Ce prénom lui plaisait bien. Il était synonyme de loyauté, de solidité et de noblesse. Tout ce qu’elle n’était pas ou pensait ne pas être. Bien qu’elle n’ai rien à se reprocher en matière de loyauté. Elle était honnête, ne promettait jamais rien – contrairement aux hommes qu’elle rencontrait – et elle ne faisait de mal à personne. Malgré les reproches ou l’incompréhension de certains et certaines, elle ne cherchait pas à justifier sa façon d’agir. Elle avait fait le choix de vivre ainsi et cela lui convenait. Son besoin de liberté engendrait celle des autres. Sa seule ambition n’était pas de collectionner les conquêtes que pourtant elle ne comptait plus. Elle avait simplement un mal fou à résister au plaisir de la séduction. Elle adorait séduire et se laisser séduire. Se nourrir du fait d’avoir un pouvoir de séduction intact et même plus fort de jour en jour. C’est en cela qu’elle puisait sa force et sa joie de vivre. Ce qu’elle collectionnait, en vérité, c’était les premiers moments, les premiers regards, les premiers frôlements. Ces gestes imperceptibles auxquels l’espace d’une seconde, le monde reste suspendu. Ces fameux instants si courts, éphémères, si chargés en émotion et que l’on ne revit plus jamais, une fois que l’on s’aime pour la seconde fois. Leur intensité s’effrite à toute vitesse à la seconde où ils ont été vécus. La première étreinte, la première fois qu’elle faisait l’amour avec un homme qui lui avait plu avaient pour Léna un goût d’éternité. Elle cultivait cet éternel recommencement avec plaisir et paradoxalement elle se délectait des différences qu’elle y trouvait à chaque nouvelle expérience. Car aucune ne se ressemblait. Elle-même se surprenait à être différente à chaque fois. Ne jamais être soi-même ou être plusieurs femmes à la fois. Etait-ce cela le secret pour plaire à coup sûr ? Elle jouait inconsciemment un rôle, pour se mettre au diapason avec son futur ex-amant, mais elle préférait penser que chaque rencontre était une renaissance. Parfois elle était déçue, parfois elle était touchée. L’attraction qu’elle exerçait sur les hommes la poussait également à entretenir la curiosité grandissante de savoir ce qui pouvait se cacher derrière un visage, une voix, une attitude. Certains timides se révélaient de tendres partenaires, d’autres sûrs de leur charme étaient lamentables. Elle ne tirait aucune généralité de tout cela, mais ne pouvait s’empêcher d’envisager l’amour avec la plupart des hommes qu’elle rencontrait. Cette simple pensée devait suffire à ce qu’une étrange sensualité émane d’elle. Aujourd’hui, elle en était persuadée. Certains la surprenaient, d’autres la faisaient rire ou lui donnaient envie de s’enfuir avant de conclure ! La monotonie ne faisait pas partie de sa vie. Avec le temps et l’expérience, elle savait déceler dans quel homme se cachait l’amant idéal ou du moins prometteur ! Mais il lui arrivait de se tromper ou encore de ne rien chercher et de se laisser entraîner sur le sentier d’une rencontre imprévue. Elle ne portait aucune animosité ni dédain envers ses conquêtes. Bien au contraire. Elle les aimait tous et dans le même temps, elle prenait un plaisir singulier à leur échapper. Jouer les mystérieuses inconnues qui se laisse apprivoiser mais pas dompter, la ravissait. Elle s’était donné pour règle de ne s’attacher à aucun homme mais se faisait un devoir de leur donner tout le plaisir qu’ils attendaient. Il lui arrivait de rencontrer des hommes seuls, célibataires ou malheureux en couple et elle se donnait pour mission de leur apporter un peu d’amour et de tendresse l’espace d’une nuit comme pour leur redonner l’espoir.

    Mais ce Constant n’avait rien de désespéré. Léna avait trouvé chez ce garçon quelque chose de nouveau, d’inhabituel. Elle avait la sensation d’avoir décelé une sensibilité rare, de la gentillesse presque de l’innocence, si bien que le malaise qu’elle ressentait venait peut-être de là. Soudain, l’idée qu’elle ai pu faire de la peine à ce jeune homme la gênait. C’était comme si elle avait ressenti sa propre détresse après son départ de chez lui. Elle remit de l’ordre dans l’arrière-boutique, rentra les bacs de fleurs coupées qui ornaient la devanture sur le trottoir, puis elle ferma le rideau de fer avant d’éteindre les lumières et de sortir par derrière. Madame Colin, sa patronne, terminait les comptes de la semaine dans son petit bureau étroit coincé entre les classeurs de commandes et les compositions pour les mariages qui allaient êtres livrés le lendemain, car la boutique tournait encore jusqu’au dimanche midi. C’était une femme de petite taille, rondouillarde, les yeux rieurs et la voix un peu nasillarde. Toujours joyeuse et d’un caractère généreux, elle avait su donner à Léna le plaisir de son métier et l’amour des fleurs et du travail bien fait en matière de bouquet. Elle avait l’art et la manière d’associer les couleurs et les parfums de façon simple et subtil et Léna l’aimait beaucoup. La jeune fille se pencha à l’entrée du local pour lui dire au revoir. Madame Colin leva vers elle son regard assoupi par les calculs.

    « Ah !… Léna. Tu as fermé ? »

    « Oui madame. Si vous n’avez plus besoin de moi, je m’en vais. À lundi ! »

    « Oui, va, va… Bon week-end. Tu prends le train ce soir ? »

    « Oui. »

    « Alors ne te mets pas en retard. Va vite ma fille… Tu as pris tes roses comme d’habitude ? »

    « Oh… Non. Pas cette fois. Il en reste, mais j’en prendrai la semaine prochaine. »

    « D’accord, d’accord. Allez à bientôt. Repose-toi bien. » Dit-elle en se replongeant déjà dans ses comptes.

    « Merci. »

    Léna, un sourire attendri aux lèvres, s’éclipsa le cœur un peu serré de l’abandonner là, toute seule, comme toujours. Madame Colin était veuve et allait sur la soixantaine. Elle était en bonne santé et pleine d’entrain. Mais elle était seule. Elle n’avait pas eu d’enfants et n’avait pas de famille proche d’elle, d’après ce qu’avait compris Léna. La jeune fille se sentait parfois en peine face à cette solitude qui n’était pas la sienne mais qu’elle n’aurait pas voulu subir. Elle se surprenait à avoir pitié de sa patronne en se disant qu’elle ne supporterait pas de vivre ce genre d’existence. Léna arriva à la gare dans les temps pour sauter dans son train. Elle mis ses écouteurs pour regarder défiler la grisaille parisienne et s’en éloigner en musique. Elle n’en appréciait que mieux son escapade vers son jardin secret, là où on ne coupe pas les fleurs, là où le plus beau cadeau est de pouvoir les admirer et non de les offrir.

     

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    Durant plusieurs semaines, Constant avait tenu bon. Mais sa détermination commençait à s’effriter quelque peu. Il n’avait eu aucune nouvelle du jeune barman. Il était retourné le voir une ou deux fois, sans résultat. Constant avait fini par se dire que Léna n’habitait certainement pas dans le quartier où ils s’étaient rencontrés, sinon ils auraient bien fini par se croiser de nouveau. Peut-être était elle seulement de passage et n’habitait même pas Paris. Partant de ces suppositions, le jeune homme avait sérieusement commencé à perdre espoir. À présent, lorsqu’il passait devant un fleuriste et que son regard se posait sur des roses, son cœur se serrait malgré lui. Des semaines et des mois étaient passés et d’autres auraient sans doute oublié mais pas lui. Il n’y arrivait pas et ne pouvait s’y résoudre. Un matin de printemps, en passant devant la vitrine d’un fleuriste, il ralentit en voyant plusieurs bacs remplis de roses de différentes teintes, aux formes et aux pétales variés. Comme à son habitude, Constant s’arrêta pour les contempler et se remémorer le visage de Léna pour la énième fois. Un grand bonhomme aux larges épaules portant un tablier vert, les bras chargés de bouquets d’œillets pourpres, sorti de la boutique.

    « Bonjour jeune homme ! Un petit renseignement peut-être ? »

    Constant surpris dans ses pensées sensuelles se tourna vers lui.

    « Bonjour, pardon… Non je regardais les roses. Vous en avez beaucoup de sortes, elles sont très belles. »

    « Ah oui. On fait quelques variétés plus rares, mais on n’en a pas toujours. Il faut en profiter si vous en voulez. Vous avez une préférence ? »

    À cet instant, une idée totalement démente germa dans l’esprit de Constant. Sûr de lui, il s’adressa au fleuriste.

    « À vrai dire je ne vois pas celle que je cherche. »

    « Ah bon ? Et à quoi ressemble celle que vous cherchez ? »

    Constant l’avait assez vue pour pouvoir la décrire. Même s’il ne connaissait pas grand-chose aux roses, celle de Léna il la connaissait par cœur. Il l’avait prise en photo avant qu’elle ne sèche doucement sur sa table de nuit. Pourquoi avait-il fait cela ? Il ne savait pas vraiment, mais aujourd’hui il sentait que cela allait lui servir. En son for intérieur, il avait eu ce réflexe, sans doute pour garder impérissable le seul souvenir qu’il avait de la jeune fille. Il avait voulu éviter à sa mémoire de se flétrir et de se faner en même temps que cette fleur qui, elle, n’était pas éternelle. Il s’était rendu compte, à la question du fleuriste, que la rose de Léna était loin d’être ordinaire en fait. Il n’y avait pas réellement prêté attention au début, après le départ de la jeune fille. Mais ensuite, n’ayant plus que cette fleur à laquelle raccrocher ses pensées, Constant en avait appris les moindres formes et nuances de pétales jusqu’à son parfum qui n’était pas sans lui rappeler celui de Léna. Il fit une description détaillée au fleuriste.

    « Eh bien ce n’est pas une rose banale que vous cherchez. Ça m’a tout l’air de faire tout de même partie des variétés de roses anciennes. Nous n’avons pas ça malheureusement. »

    « Vous n’avez pas une idée de l’endroit où en trouver ? »

    Le fleuriste gratta sa joue piquée d’une barbe naissante.

    « Y’a bien une boutique spécialisée dans les roses anciennes à quelques rues d’ici dans l’arrondissement voisin. Je crois que ça s’appelle ‘‘la roseraie’’. Mais je ne suis pas certain. Ils n’ont pas que des roses mais c’est leur spécialité. »

    « ‘‘La roseraie’’, vous dites ? » demanda Constant le cœur battant.

    « Oh j’suis pas bien sûr de l’endroit, mais il me semble bien. »

    « Je vous remercie monsieur. Je trouverai… Au revoir, bonne journée. »

    Le jeune homme s’en alla d’un pas rapide. Il n’osait y croire. Il fallait qu’il trouve cette boutique. Même si les chances étaient infimes, s’il retrouvait la rose que Léna lui avait laissée, il pourrait toujours tenter de savoir si elle était venue l’acheter à cet endroit et essayer de la retrouver par ce biais. Constant échafaudait déjà tout un plan d’enquête, de questions et de filatures extravagantes tout en reprenant le chemin de son appartement afin de trouver l’adresse de la fameuse ‘‘Roseraie’’.

     

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    Léna était affairée sur la composition d’un bouquet d’iris violets parsemé de brins de mimosa et d’œillets blancs, le tout agrémenté de tiges d’asparagus qui enserraient les fleurs dans un écrin de dentelle verte. Il y avait du monde à la boutique et la jeune fille et ses collègues n’étaient pas trop de trois pour gérer l’affluence en cette fin d’après-midi chargée. Malgré son occupation, Léna remarqua un jeune homme dans le fond, près de la collection de roses anciennes. Au moment de procéder au règlement avec sa cliente, elle jeta un œil vers lui. Non seulement il lui rappelait quelqu’un, mais en plus il ne cessait de regarder dans sa direction. Il avait l’air beau garçon et même si elle n’arrivait pas bien à détailler son visage entre les silhouettes des acheteurs, Léna sentait monter en elle un étrange malaise. Elle avait peur de reconnaître quelqu’un. Cela pouvait arriver. Le monde est petit et la vie ponctuée de hasards. Mais la jeune fille s’obligeait à les éviter autant que faire se peut. Cette fois, elle avait la très nette impression qu’elle connaissait ce garçon et qu’il l’avait reconnue aussi. Sa première idée fut de l’ignorer. Après tout, sans réaction de sa part, peut-être finirait-il par s’en aller. Mais il la regardait à présent avec tant d’insistance que son instinct lui dictait d’agir autrement. Léna quitta le comptoir, laissant le soin à sa collègue de s’occuper du client suivant. Celle-ci se dit que la jeune fille avait certainement une bonne raison pour abandonner son poste et pris sa place interloquée mais avec le sourire. Léna se dirigea vers le fond de la boutique, droit vers le jeune homme qui semblait sourire timidement. À chaque pas qui la rapprochait un peu plus de lui, elle avait le sentiment de se jeter dans un gouffre d’images du passé. Ce visage, elle ne l’avait pas oublié. Mais pourquoi fallait-il que ce soit celui-là qui se présente aujourd’hui devant elle. Sa mémoire ne la trompait jamais, elle avait bien reconnu Constant.

     

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    Constant était entré plein d’espoir dans ‘‘La Roseraie’’, fleuriste spécialisé des roses anciennes. Il n’avait pas eu de mal à trouver l’adresse et s’y était précipité dès qu’il avait pu. Il avait été abordé à l’extérieur par une jeune vendeuse aux cheveux courts et blonds qui sentait aussi bon que Léna dans ses souvenirs. Il lui avait fait la description de la rose qu’il cherchait. Après y avoir réfléchi auparavant, il s’était aperçu, en regardant celles des fleuristes, que la rose de Léna n’était pas une rose ordinaire. Finalement aucune ne l’était à voir les variétés infinies qu’il avait dénichées sur Internet. Celle qu’il avait retrouvée près de lui au réveil était d’un orange brûlé, fort et soutenu. Elle avait fini de s’épanouir en une coupe large et profonde, diffusant un parfum suave au cœur d’une profusion de pétales serrés et enchevêtrés les uns aux autres. La jeune vendeuse avait entraîné Constant à l’intérieur pour lui montrer les différentes variétés et notamment celle qu’il semblait chercher.

    « Je pense qu’il s’agit de celle-ci. Vous voyez ? » lui avait-elle dit en lui montrant les roses en question. En effet c’était bien la même. Le jeune homme n’aurait jamais imaginé être aussi heureux à la vue d’une fleur.

    « C’est une variété anglaise qui se nomme ‘‘Summer Song’’. » Dit-elle.

    Constant avait murmuré le nom de la rose en se replongeant dans le souvenir de cette nuit d’été. Comme elle portait bien son nom. Et tandis qu’il réfléchissait déjà à ce qu’il allait pouvoir faire pour suivre Léna à la trace à partir de là, une main passa devant lui pour saisir quelques œillets blancs dans un bac. Il la suivit des yeux et son cœur bondi dans sa poitrine en découvrant le visage de Léna qui se tenait près de lui. Cette dernière ne l’avait même pas remarqué, affairée à sa tâche. Croyant d’abord au plus grand des hasards et la prenant pour une cliente, Constant ne mit pas longtemps pour comprendre qu’elle travaillait là comme la petite blonde à côté de lui qui le ramena un instant à la réalité en lui demandant :

    « Combien en voulez-vous monsieur ? C’est pour quelle occasion ? »

    Mais Constant n’écoutait déjà plus et, insoucieux de l’incompréhension flagrante de la jeune vendeuse, il la coupa sans quitter Léna des yeux.

    « Cette demoiselle là-bas s’appelle comment ? » dit-il en désignant Léna.

    La jeune fille étonnée se retourna vers la caisse où Léna se tenait puis de nouveau vers Constant, l’air un peu embarrassé.

    « Vous voulez dire… Son prénom. Voulez savoir son… »

    « Oui, oui… Son prénom, oui. S’il vous plaît ! »

    « C’est Léna… Mais, excusez-moi vous ne voulez pas… »

    « Non… Je vous remercie, pardon de vous avoir déranger. Je vais réfléchir pour les roses. Je ne sais pas encore. Merci. »

    La vendeuse haussa un sourcil et s’éloigna de Constant pour s’occuper de quelqu’un d’autre. Constant resta rivé sur le visage de Léna occupée à confectionner un bouquet d’iris et de mimosa. Il n’en revenait pas de la voir ici. Il l’avait enfin retrouvée, mais contrairement à l’euphorie qui aurait dû le submerger, il lui semblait que les choses allaient être encore plus compliquées. Cette retrouvaille était si brutale et inattendue qu’il ne savait plus quoi faire. Mis à part ne plus la lâcher des yeux comme la première fois qu’il l’avait vu, le jeune homme n’arrivait pas à bouger du fond de la boutique. D’ailleurs elle avait fini par s’en rendre compte et avant qu’il puisse envisager le moindre geste, le moindre mot, elle se dirigeait déjà vers lui. Son premier réflexe aurait été de lui ouvrir ses bras et de la serrer contre lui, mais l’air grave qu’elle affichait n’avait rien d’engageant. Celle qui venait à sa rencontre n’avait rien de commun avec la jeune fille avec laquelle il avait fait l’amour presque neuf mois auparavant. Constant lui sourit pourtant comme si tout ce temps n’avait jamais existé, oubliant toutes les raisons qu’il avait de lui en vouloir. Mais arrivée à sa hauteur, Léna lui sourit enfin et lâcha un terrible :

    « Je peux vous aider peut-être ? »

    Voilà qu’elle feignait de ne pas le reconnaître mais peut-être était-ce vraiment le cas. Constant, même s’il ne savait plus quoi dire, ne se laissa pas démonter.

    « Oui en fait Léna, c’est vous… C’est toi que je cherche. Mais tu… Tu n’as pas idée, depuis… Tout ce temps ! »

    La jeune fille pinça ses lèvres en un rictus gêné, mais elle soutint son regard. Constant tourna les yeux vers les roses ‘‘Summer Song’’ et lui dit en la regardant de nouveau.

    « C’est celle-là ? hein ?… Je t’ai retrouvée en même temps qu’elle ! » Dit-il en riant nerveusement. Léna le regardait toujours, une lueur de désespoir dans les yeux.

    « Qu’est-ce que tu veux ? » dit elle avec une pointe d’impatience.

    Le jeune homme compris soudain à quel point il devait avoir l’air ridicule. Cette fille était bien celle qu’il avait rencontrée l’été dernier. Ils avaient passé une nuit ensemble et elle était partie au petit jour. C’est tout. Point. Cela s’arrêtait là. Et c’était normal finalement. Les choses étaient ainsi et il avait été stupide de croire qu’il pouvait en être autrement parce qu’il avait décidé de retrouver une conquête d’un soir. Visiblement, Léna ne désirait aucunement le revoir et semblait plus que dérangée par sa présence dans la boutique. Constant ne savait plus quoi dire. Il s’apprêtait à quitter les lieux lorsqu’une ultime question lui brûla les lèvres. Il s’approcha de Léna qui ne bougea pas.

    « Je voudrais juste savoir pourquoi ?… La rose. »

    Léna hésita.

    « Je fais toujours ça… À chaque fois. Je ne sais pas ! »

    Constant sourit en soupirant. Il détourna son regard de la jeune fille et lui dit, en se dirigeant vers la sortie.

    « Je m’attendais à mieux ! »

    Puis il quitta la boutique, les roses, leurs parfums et tout ce pour quoi il avait nourri tant d’espoir durant des mois.

     

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    Léna ne se remettait pas de la visite de Constant à la boutique. Elle s’était montrée odieuse comme jamais et cela ne lui ressemblait pas. Mais c’était aussi la première fois qu’une chose pareille lui arrivait. Elle en avait encore le cœur retourné. Un amant d’un soir qui la retrouve. Et pour la retrouver après tout ce temps il avait dû chercher, ou du moins s’accrocher à ce but avec une sacrée détermination. C’était aussi attendrissant qu’impressionnant, mais Léna en prenait conscience seulement maintenant. Sur le moment, elle lui en avait terriblement voulu d’être là, de l’avoir cherché, de se présenter devant elle plein d’espoir. Espoir de quoi ? Sa réaction avait été de le punir tout simplement de lui faire cet affront. Elle n’avait pas supporté qu’il entre ainsi dans sa vie sans y être autorisé, qu’il pénètre son territoire sans qu’elle ne puisse le décider. Elle avait perdu le contrôle de son intimité et Constant avait franchi une barrière interdite. Elle avait voulu lui faire payer cette arrogance qui n’en était pas une. Elle avait voulu lui faire comprendre d’une manière un peu brutale qu’il n’avait rien à espérer d’elle et qu’il était venu pour rien. Tout cela passé, elle ne l’avait pas retenu, mais elle avait perçu tant de tristesse et de déception dans les derniers mots du jeune homme, qu’elle n’arrivait pas à l’oublier et elle s’en voulait terriblement de l’avoir ainsi blessé. Mais que pouvait-elle faire ? Et lui que voulait-il ? À part se prouver qu’il était capable de la retrouver, et puis quoi ? Mais derrière cet étrange acharnement à la revoir, Léna devait s’avouer conquise. Comment être insensible à une telle volonté. C’était une chose effrayante et belle à la fois, et la jeune fille ne pouvait pas nier son admiration pour Constant. Elle était gênée soudain à l’idée de l’avoir déçu, à l’idée de ce qu’il pouvait penser d’elle, même si jusqu’ici l’avis des autres ne l’avait jamais dérangée. Elle était touchée et elle ressentait le besoin de s’excuser de son attitude. D’autre part, revoir le jeune homme équivalait à s’avouer vaincue. Mais peut-être pouvait elle lui expliquer simplement comment elle envisageait la vie et qu’il ne devait rien attendre d’elle. Le souvenir de son regard empli de peine la dissuada un instant. N’allait elle pas lui faire encore plus de mal en agissant ainsi ? Ne valait-il pas mieux ne plus jamais le revoir plutôt que de prendre le risque de raviver une flamme qui s’était éteinte aujourd’hui ? Par son attitude froide et distante, elle avait été plus que claire et lui avait fait comprendre ce qu’il avait refusé de croire jusqu’à présent. Mais le problème était autre. Léna avait envie de le revoir. Vraiment envie. Ce regard qu’il avait posé sur elle ne la quittait plus et même si elle faisait une bêtise, elle ne pouvait résister au besoin de consoler celui qu’elle avait blessé.

     

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    Constant s’en était retourné à son appartement. Mais en chemin, il s’était arrêté dans un petit square où il s’était étendu dans l’herbe, éreinté. Il n’aurait pas dû partir de la boutique, il aurait dû lui dire tout ce qu’il avait sur le cœur, tout ce qu’il ressentait, tout ce qu’il avait fait pour la retrouver. Oh ! et puis à quoi bon ? Il n’aurait jamais dû y aller finalement. Mais comment aurait-il pu deviner qu’elle travaillait là ? Quelle tristesse, quel gâchis de temps et de sentiments ! Maintenant qu’il l’avait revu, le visage de Léna s’était de nouveau installé dans sa mémoire. Plus précis, plus tenace, plus beau, mais habité de ce regard vert et dur, teinté de reproches. Constant se disait que l’avantage qu’il avait à présent était qu’il savait où trouver la jeune fille. D’un autre côté il ne se sentait pas l’audace de renouveler sa visite… Pas tout de suite ! Peut-être pourrait-il l’attendre un soir après son travail pour pouvoir lui parler à l’écart ?… Non, insister était plus que déplacé, et elle risquait de le prendre pour un dingue ! Il devait se résigner à ne plus la revoir, à ne plus essayer. Cette idée était dure car, à présent, il savait qu’elle était là, pas très loin. Elle existait, elle respirait, elle riait, elle aimait. D’autres que lui. C’était son choix et il n’y pouvait rien. Il avait simplement fait la bêtise d’espérer à outrance. Il se releva dans un long soupir. Combien de temps était-il resté là ? Le soleil dorait la cime des arbres et le square s’était vidé. Les rires des enfants s’étaient amenuisés ainsi que les conversations. Constant était seul. Il se leva et pris la direction de son quartier. Il marchait lentement, accablé encore de doutes sur ce qu’il aurait pu ou n’aurait pas dû faire pour que les évènements de la journée prennent une autre tournure. Il prit l’ascenseur de son immeuble en se disant qu’il devait cesser de se torturer ainsi l’esprit. Arrivé à son sixième étage, il poussa la grille et cherchant ses clefs, il leva les yeux vers sa porte. Constant laissa tomber son sac à terre, figé par la vision qui s’offrait à lui. Sur la porte, une rose orangée était accrochée accompagné d’un petit papier. Constant se précipita pour le lire. Un seul mot y était inscrit : « Pardon ». Dans le même temps, il entendit des pas dans les escaliers et se pencha instinctivement à la rambarde. Une silhouette dévalait les marches de bois cirés à toute vitesse. Une silhouette qu’il aurait reconnue entre toutes. Un corsage vert pomme et une jupe blanche, tournoyant autour de la rampe en colimaçon. Constant en était persuadé, c’était Léna qui venait de franchir la porte d’entrée et s’enfuyait dans la rue avant qu’il ait eu le temps de crier son nom.

     

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    Léna avait le cœur qui battait à tout rompre. Un cœur soudain trop gros pour sa poitrine. Il fallait qu’elle se calme. Elle s’en voulait déjà d’être venue là. Elle était revenue ici de mémoire et avait retrouvé sans peine l’appartement de Constant, admettant en elle-même que ce souvenir persistant n’était pas anodin. Cet endroit l’avait marquée autant que le jeune homme. Elle avait sonné fébrilement à la porte et s’était senti presque soulagée de ne pas obtenir de réponse. Face à cette évidence, elle avait commencé à regretter son geste et avait décidé de laisser un mot d’excuses et d’en rester là, même si une légère pointe de déception démangeait ses sens. Puis elle avait entendu l’ascenseur arriver. Elle avait griffonné son mot dans la précipitation, l’avait accroché sur sa rose et s’était enfuie à toute vitesse dans les escaliers comme une voleuse. À présent, elle était dans la rue et s’était remise à marcher calmement, se moquant intérieurement d’elle-même et de la peur qu’elle s’était faite. Mais soudain elle entendit quelque chose qui la figea sur place. Quelqu’un l’appelait. C’est son nom qu’elle venait d’entendre. Elle se retourna, mais personne derrière elle ne semblait l’avoir interpellée. Puis de nouveau.

    « Léna, attends ! »

    Léna leva les yeux. C’était Constant qui l’appelait de sa fenêtre. Leurs regards se croisèrent. Le jeune homme lui fit signe et disparut. Il allait descendre. Il arrivait. Que faire ? S’enfuir. Encore. Ridicule idée, maintenant qu’elle était là. Pourquoi était-elle venue ? Elle l’ignorait toujours, ou elle ne voulait pas l’admettre ! Mais elle dû se l’avouer quand elle vit le jeune homme sortir de l’immeuble et se diriger vers elle en courant. Elle avait la sensation que ses jambes allaient se dérober sous elle. Elle ne pouvait pas être insensible à cet élan qui semblait le pousser vers elle. Comment ne pas être flattée devant tant d’insistance ? Constant s’arrêta face à elle, essoufflé et les yeux brillants. Il tenait sa rose dans la main. Ou plutôt ses roses. La seconde était sèche mais toujours aussi belle. Un geste de plus qui confirmait à Léna à quel point il n’avait cessé de penser à elle. Cela lui fit peur, mais elle ne cilla pas. Nouant ses mains devant elle sans rien dire, elle affronta son regard. Constant leva les roses vers elle et lui dit sur un ton de reproches amusé :

    « Est-ce que tu comptes m’en laisser encore beaucoup comme celles-là ? »

    Léna ne put s’empêcher de sourire. Mais elle ne savait quoi répondre. Elle était revenue et ce simple fait suffisait au jeune homme pour espérer de nouveau, pour y croire encore plus. Elle ne pouvait pas le nier et le priver de cette attente. Il semblait prêt à recevoir d’autres roses, beaucoup d’autres si chacune représentait une nuit ou un moment passés avec elle. Léna fit mine de les prendre, mais Constant les pressa sur son cœur. Il lui tendit la main.

    « Viens. »

    Léna frémit à ce mot et à tout ce qu’il évoquait. Ce mot comme tous les premiers qu’elle aimait entendre, elle le repassait déjà dans sa tête en boucle pour en apprécier tous les sens, les infimes sensualités de cette unique syllabe. Sa douceur, la promesse qu’elle portait. L’invitation, le désir, l’amour dont ces lettres se faisaient les messagères. Mais aussi le regard empli d’espoir et d’envie de celui qui l’avait prononcé. Voilà ce à quoi elle s’accrochait. Les premiers instants comme celui-ci qu’elle s’obstinait à faire durer pour n’en point perdre une miette d’émotions. Juste pour être sûr de les avoir pleinement vécues. Constant était différent. Elle le savait, même si elle ne pouvait déterminer quel trait de sa personnalité le rendait plus attirant qu’un autre. C’était ainsi, il ne fallait plus chercher à comprendre. Léna prit la main qu’il lui tendait. Elle fit glisser doucement ses doigts sur la paume ouverte. Ceux du jeune homme caressèrent son poignet et elle se laissa entraîner sans résistance, sans plus réfléchir, comme la première fois qu’elle était venue chez lui. Ils étaient montés jusqu’à l’appartement, silencieux, comme si le moindre mot risquait de rompre le charme qui les tenait liés. Constant ne la lâchait ni de la main ni des yeux. Ce que Léna lisait en eux semblait si lourd à porter. Pourtant, plus elle y plongeait les siens et plus son désir de se laisser aimer à nouveau du jeune homme l’étreignait. Ils étaient rentrés dans l’appartement, Constant avait posé les roses sur la table et avait entraîné Léna dans sa chambre. Là, il l’avait allongée doucement sur le lit avant de refermer la porte. Derrière celle-ci, Filou, le chat noir, s’était assis semblant comprendre que sa gamelle ne serait pas au rendez-vous ce soir. Qu’à cela ne tienne, il attendrait patiemment. Son maître finirait bien par ressortir de là ! Fixant la porte d’un regard nonchalant, il attendait, une pointe de ronronnement dans la gorge.

     

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    Constant somnolait lorsqu’il sentit bouger quelque chose près de lui. Instinctivement il agrippa le bras de Léna. Elle lui sourit et vint coller son corps nu contre le sien ce qui eut pour effet d’éveiller à nouveau les sens du jeune homme. Il la serra contre lui. Elle avait étouffé un cri de surprise à la brusquerie de son geste.

    « Tu as eu peur ? » demanda-t-elle, moqueuse.

    « Mm… Cette fois je ne te laisserai pas t’enfuir si facilement… Je veille ! »

    La jeune fille s’esclaffa en se redressant. Constant fit de même en la voyant se lever.

    « Tu t’en vas ? »

    Léna lui sourit et se pencha pour l’embrasser. Constant ne se lassait pas d’admirer ce regard d’émeraude cerné de boucles brunes. Il lui ouvrit ses lèvres pour goutter la douceur de sa langue puis elle s’écarta de nouveau.

    « Je vais boire un verre d’eau et voir ton chat qui gratte à la porte depuis une éternité. Je crois qu’il a faim. »

    «Oh ! il survivra ! »

    « Comment il s’appelle ? »

    « Filou »

    « Mmmm… Filou. Voyez vous ça ?! » 

    Léna se leva et ouvrit la porte au chat. Elle se pencha vers lui, attendrie par ses miaulements et elle le prit dans ses bras. Filou se laissa faire, frottant ses oreilles dans le cou de la jeune fille. Cette vision d’elle rendit soudain Constant quelque peu jaloux de cette intimité inattendue. La fourrure de Filou contre la poitrine nue de Léna semblait leur plaire à tous les deux et donnait un attrait sensuel à cette étreinte câline.

    « Comme il est doux, j’adore ça. »

    « Ah oui je vois ça. Ça n’a pas l’air de lui déplaire non plus d’ailleurs. »

    Léna sourit tout en gratouillant Filou derrière l’oreille. Ce dernier ronronnait comme un bienheureux.

    « Il porte bien son nom au moins ! »

    Elle reposa le chat à terre et lui emboîta le pas vers la cuisine où il semblait la guider, devinant qu’on allait enfin s’occuper de lui. Constant se leva pour la rejoindre. Elle donna quelques croquettes et une écuelle d’eau claire à Filou et, toujours dans le plus simple appareil, elle se dirigea vers la fenêtre pour admirer les toits de Paris enflammés par le coucher de soleil.

    « C’est vrai que tu as une belle vue d’ici. » Dit-elle en se penchant à droite pour voir l’astre du jour terminer sa course, agrippé par une multitude de cheminées et d’antennes. Constant se colla contre elle. Léna frissonna doucement tandis que les mains du jeune homme lui caressaient les hanches.

    « Oui. J’ai de la chance. Je vois le soleil se lever et se coucher tous les jours. Et si tu dors ici cette nuit, tu pourras le voir toi aussi demain matin ! » Dit-il d’un ton faussement solennel. Mais il sentit Léna se raidir. Elle se retourna d’un air désolé, reprenant le chemin de la chambre.

    « Je ne peux pas rester Constant. Je suis désolée mais il faut que je m’en aille. »

    Déjà elle ramassait ses affaires, déjà elle se rhabillait, déjà elle changeait. Constant enfila un jean rapidement. Soudain la nudité se faisait gênante. Ridiculement.

    « Pourquoi ? Rien ne t’oblige à t’en aller. »

    « Non c’est vrai mais je préfère passer la nuit chez moi. »

    « Tu n’as pas envie de rester avec moi. »

    « Ce n’est pas ça, c’est juste que… »

    « Tu n’as pas envie de rester. » insista-t-il.

    Léna soupira et leva les yeux vers lui, déterminée.

    « Constant, laisses moi un peu de répit… Un peu de temps. Je ne sais pas où j’en suis et me forcer la main c’est la meilleure façon de me faire fuir. »

    « Mais fuir c’est déjà ce que tu es en train de faire. Tu ne veux pas rester parce que tu as la trouille. De quoi au juste je ne sais pas, mais tu as la trouille ! »

    Piquée au vif, Léna ne voulait pas nier. Constant avait raison.

    « Sans doute… Alors c’est comme ça. Je n’y peux rien et toi non plus ! »

    « Si. Tu peux me laisser te convaincre… Tu peux faire confiance à quelqu’un pour une fois. » 

    « Ce n’est pas une question de confiance. » Dit-elle d’un ton quelque peu agacé en enfilant ses chaussures. « Je ne veux pas te donner de faux espoirs. » 

    Constant senti l’impatience et la colère le gagner tout entier.

    « Alors celle-là c’est la meilleure ! »

    Léna se releva. Elle était prête à partir, mais l’emportement soudain du jeune homme la cloua sur place. Constant avait haussé le ton, blessé par les fausses excuses qu’elle se trouvait. Il s’avança vers elle, les sourcils froncés, le regard douloureux.

    « De faux espoirs ?… Mais, dans ce cas, il ne fallait pas revenir ici. Il ne fallait pas laisser cette rose sur ma porte pour disparaître à nouveau. Il ne fallait pas me suivre quand je te l’ai demandé. Il ne fallait pas me laisser te faire l’amour dans cette chambre et me donner encore l’impression de partager quelque chose d’exceptionnel avec toi… Il ne fallait pas. »

    Il était à deux doigts d’elle, reprenant son souffle, la fin de sa phrase brisée par un chagrin flagrant que Léna mesurait maintenant pleinement. Elle ne refusait pas d’en prendre conscience, mais elle avait tout simplement beaucoup de mal à y croire. Pourtant, il était là, devant elle. Indéniable. Mais l’évidence des sentiments de Constant lui donnait encore plus envie de prendre ses jambes à son cou.

    « Je suis désolée. »

    Les yeux du jeune homme étaient plantés dans les siens. Si près.

    « Pourquoi ? »

    « Je ne voulais pas te faire de mal… »

    « Mais c’est fait ! » la coupa-t-il en s’écartant d’elle.

    Léna ne pouvait pas partir comme ça. Elle ne savait plus quoi dire pour tempérer les choses.

    « Constant. Essaie de me comprendre… Je ne sais pas comment expliquer ça… Je veux juste rester libre. »

    Constant se retourna vers elle et lui dit d’un ton fatigué.

    « Libre ? Mais libre de quoi ?… Personne ne l’est jamais. On est tous rattrapés par nos besoins, nos envies, nos obligations. On passe notre temps à se faire prendre au piège. À commencer par nos sentiments et tout ce qu’on ne pourra jamais satisfaire. Moi c’est avec toi que je me suis senti libre. Si pour toi la liberté c’est la solitude, soit, tu finiras toute seule, sans attaches. C’est vraiment ce que tu cherches ? »

    Le timbre de sa voix s’était fait dur et froid, comme si toute sa douceur l’avait quitté. Léna baissa les yeux. Elle n’avait jamais songé à ce qu’il venait de lui dire. Elle n’envisageait pas l’avenir sous cet angle. À vrai dire, elle ne l’envisageait pas dut tout !

    « Je ne sais pas. » avoua-t-elle. « Mais je ne me sens pas prisonnière. »

    « Bien sûr que si ! »

    Elle le regarda de nouveau, cherchant à comprendre.

    « Pourquoi serais-tu revenue sinon ?!… Pour te faire du mal ou pour m’en faire… »

    « Non… » Dit-elle, voulant se justifier. Constant l’arrêta d’un geste et revins doucement vers elle, le visage grave.

    « Quand je suis sorti de la boutique, j’ai pensé qu’il n’y avait rien d’autre à espérer. C’était fini, si on voulait bien croire que ça avait commencé d’ailleurs ! Mais tu es revenue, et ce n’est pas moi qui t’y ai forcée. Je n’ai rien demandé et pourtant maintenant je vais souffrir de nouveau. Je n’y crois pas. Je n’ai pas grand-chose à offrir et encore moins à promettre, mais si tu me laisses essayer… Si un jour tu en as assez alors tu t’en iras. Mais si tu essayais. Juste. »

    Chaque mot était sincère, Léna le savait. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle soutenait toujours le regard de Constant.

    « J’ai déjà essayé. »

    À la réaction calme et soudain empreinte de regrets de la jeune fille, Constant se rendit compte qu’elle avait dû souffrir. De quoi, quand, pourquoi et à cause de qui il n’en saurait rien, mais il s’approcha et pris la joue de la jeune fille dans sa main.

    « Je ne te ferais jamais de mal. »

    Léna eut un petit sourire désabusé en levant les yeux au ciel.

    « Ça !… Si ce n’est pas le cas, je le saurai trop tard. En attendant, je dois prendre le risque de savoir si tu es différent ? Pourquoi ? »

    Constant sourit en caressant une mèche de ses cheveux.

    « Parce que je te le propose et parce que qui ne tente rien n’a rien ! »

    Léna soupira.

    « Encore faudrait-il que je veuille quelque chose et que je sache quoi. »

    Constant la regardait toujours sans plus savoir que répondre. Il essuya une larme qui coulait sur la joue de la jeune fille avant que celle-ci n’ouvre la porte de l’appartement et la referme sur un nouveau sentiment de solitude.

     

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    Les semaines passaient à une vitesse phénoménale et Constant avait l’impression que cette dernière soirée avec Léna datait d’une éternité. Il n’avait plus eu de nouvelles de la jeune fille et même si elle lui trottait encore dans la tête, il s’était fait une raison. Il le fallait bien. L’été était là, de nouveau et cela faisait presque un an, jour pour jour, qu’il avait rencontré Léna. Il était temps de se sortir toute cette histoire de la tête. Les vacances étaient à sa porte et Constant n’avait pas encore réfléchi à ce qu’il allait en faire. Ce qui le préoccupait plus que sa prochaine destination c’était de savoir où se trouvait son chat. Filou disparaissait régulièrement, plusieurs jours. Il vagabondait aisément et traînait ses pattes de velours plus que de coutume sur les toits des environs. D’habitude, Constant confiait ses clés à sa vieille voisine du troisième, qui avait la gentillesse de venir le nourrir durant son absence. Mais le jeune homme préférait le faire rentrer avant de partir et, pour le moment, ses appels restaient vains. Filou ne reparaissait toujours pas. Constant ne s’inquiétait pas pour autant. Il n’était pas à un jour près. Filou finirait bien par pointer le bout de son museau noir un matin, derrière la vitre, pour réclamer ses croquettes qui n’avaient rien à envier aux quelques moineaux qu’il devait lui arriver de croquer de temps à autre. Vilain chat ! se dit le jeune homme, un rien amusé par l’image que lui renvoyait cette pensée. Mais il n’eut pas le temps de lui en vouloir d’avantage car le ‘‘brrrr’’ caractéristique venait de se faire entendre près de la gouttière. Constant se leva pour se pencher à sa fenêtre. Sa surprise à la vue de son chat lui fit d’abord peur puis son cœur se mit à battre la chamade. Filou remontait vers son maître, affublé d’une sorte de collier orné d’une rose rouge, écarlate, tranchante sur l’ébène du pelage félin. Constant tendit les bras vers lui qui ronronnait déjà. Il lui retira fébrilement le petit ruban qui lui servait de collier ainsi que la rose qui y était bien accrochée. Il ne mit pas longtemps à voir que le ruban portait une inscription. Constant n’en croyait pas ses yeux. Il était écrit : « Je veux bien essayer !… Rejoins-moi gare d’Austerlitz, jeudi à 10h, voie 7.  Léna. »

    Jeudi. C’était le lendemain. Filou avait traîné combien de temps avec son collier de fortune avant de se décider à rentrer ? Peu importe. Mais Constant pensa un instant qu’il aurait bien failli rater ce précieux rendez-vous. Il se tourna vers son chat en se disant que décidément « non ». Il avait certainement de la chance, voilà tout.

     

    (« Tout ça, ça donne pas à bouffer au matou !!! »)

     

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    Léna attendait sans grand espoir. Assise sur son grand sac à dos au bout de la voie 7. Après ce qu’elle avait échangé avec Constant, sans doute n’aurait-il plus envie de la revoir finalement. Et puis, ce petit Filou était-il bien revenu à bon port avec la rose et le ruban ? Pas sûr ! Dans un profond soupir, elle jeta un dernier coup d’œil à sa montre, puis elle se leva. C’était presque l’heure et son train n’allait plus tarder. Il était 10h20 passé et Constant n’était pas là. Inutile d’attendre plus longtemps. Au moins avait-elle essayé comme il disait. Elle souleva son sac, le fixa autour de sa taille et avança sur le quai en quête de sa voiture. Le train était long et son wagon semblait si loin qu’elle pressa le pas pour être sûre d’y monter à temps avant la fermeture des portes. Elle y arrivait enfin lorsqu’elle entendit crier derrière elle. Elle n’y prêta pas attention puis elle entendit son prénom cette fois-ci. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et elle se retourna. Constant avançait d’un pas vif vers elle sans pour autant courir. Lui aussi avait un petit sac à dos et une petite caisse sous le bras. Il avait le feu aux joues et était tout essoufflé. À peine arrivé près d’elle il débita toutes ses excuses d’une seule traite.

    « Salut, pardon… Je suis désolé mais… je suis jamais en retard, mais personne ne pouvait garder Filou finalement alors je l’ai emmené, mais comme je n’ai pas de boite à chat… Tu sais les caisses exprès, enfin… Bon j’ai eu toutes les peines du monde à le faire rentrer là-dedans et… Voilà. Sinon, je serais arrivé plus tôt mais… »

    Léna souriait en l’écoutant. Elle se mit à rire doucement en lui prenant la caisse où Filou protestait allègrement, cherchant une éventuelle sortie. À bout de souffle, Constant ne put faire autrement que de recevoir le baiser qu’elle lui donna sans rien ajouter de plus. Tandis qu’elle montait dans le train, il la suivit un rien déboussolé. Elle lui tendit son billet, qu’elle avait tout de même prévu en désespoir de cause. Constant encore ébouriffé de sa course folle, le pris en la regardant, intrigué.

    « Et… Où va-t-on ? » demanda-t-il taquin.

    Il n’avait réellement pas eu le temps de lire les panneaux de destinations et encore moins le réflexe d’y songer. Léna l’entraîna vers leurs places respectives, grimpa son sac au-dessus des sièges et l’invita à s’asseoir à côté d’elle. Constant s’exécuta. Elle était rayonnante. Elle était comme le soir où il l’avait rencontrée. « Je t’emmène dans mon jardin secret ! » Dit-elle tout bas comme si personne d’autre ne devait l’entendre. Et alors que Filou commençait à sortir la tête de sa boîte improvisée, Constant enlaça Léna dans une douce étreinte teintée de miaulements et de rires.

     

    La Rose

     

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 8 Juillet 2014 à 14:19

    J'aime beaucoup. Mais par contre, dès que tu sors du blanc sur ce fond, ça devient quasi illisible, surtout quand ce sont des couleurs foncés. Pour les dialogues, un retour à la ligne, avec un saut de ligne et un tiret, suffit pour qu'on sache qui parle, surtout qu'ils ne sont que deux à dialoguer à chaque fois. Bisous.

    2
    Jeudi 10 Juillet 2014 à 20:37

    ah zuuuut! j'avais pas fais attention aux couleurs! je vais arranger ça! Merci ma Luciole!

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